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Glutamine : un danger lorsqu'on a le cancer ?

Glutamine : un danger lorsqu'on a le cancer ?
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La glutamine intrigue la recherche depuis des décennies. Cet acide aminé est à la fois indispensable au bon fonctionnement de notre organisme… et parfois utilisé comme carburant par certaines cellules cancéreuses. Voilà pourquoi la question se pose : la glutamine est-elle dangereuse quand on parle de cancer ? Les études montrent que la réponse n’est pas simple. Si elle peut nourrir la prolifération tumorale, elle reste aussi vitale pour les cellules saines, en particulier celles de l’intestin et du système immunitaire. L’enjeu est donc de comprendre les mécanismes en jeu et de mesurer les risques d’une supplémentation non encadrée.

Définition de la glutamine

La glutamine est l’acide aminé libre le plus abondant dans le corps humain. On la qualifie de « conditionnellement essentielle » : en temps normal, l’organisme en fabrique assez, mais en période de stress, de maladie ou de cancer, les besoins peuvent dépasser la production naturelle. Elle intervient dans la synthèse des protéines, le transport de l’azote entre organes et la production d’énergie cellulaire.

Relation entre glutamine et santé

La glutamine joue un rôle central dans plusieurs grandes fonctions : elle est le carburant principal des entérocytes, les cellules de la muqueuse intestinale, et elle participe à la santé de la barrière intestinale. Elle est aussi sollicitée par les cellules immunitaires, notamment les lymphocytes et les macrophages. Enfin, elle contribue à la fabrication du glutathion, un antioxydant produit par l’organisme.

Ces fonctions expliquent pourquoi elle est étudiée de près en nutrition et en cancérologie.

Importance des acides aminés dans le corps

Les acides aminés sont les briques de base des protéines. Ils interviennent dans la croissance, la réparation des tissus, mais aussi dans la signalisation cellulaire et le maintien de l’équilibre métabolique.

Parmi eux, la glutamine occupe une place particulière car elle peut être utilisée comme une sorte de “monnaie d’échange énergétique”, alimentant à la fois les muscles, l’intestin, le foie et le système immunitaire.

La glutamine et les cellules cancéreuses

Mécanismes de croissance des cellules cancéreuses

Rôle de la glutamine dans la prolifération cellulaire

Certaines cellules cancéreuses se comportent comme si elles étaient « accros » à la glutamine. Cet acide aminé leur sert à fabriquer l’énergie et les briques nécessaires à la multiplication : ADN, protéines, antioxydants comme le glutathion. Des chercheurs ont montré que bloquer l’enzyme glutaminase, chargée de transformer la glutamine, freinait la croissance de cellules tumorales en laboratoire (Gao et al., 2015).

Effets sur le métabolisme tumoral

La glutamine influence aussi des voies de signalisation qui entretiennent l’anabolisme tumoral. Des études indiquent qu’elle active mTOR, HIF-1 et STAT3, favorisant la survie et l’adaptation de la tumeur dans un environnement pauvre en nutriments (Altman et al., 2016; Xiang et al., 2015).

En 2021, des chercheurs du Sanford Burnham Prebys Cancer Center ont identifié une molécule capable de bloquer le transporteur de glutamine SLC1A5 : chez la souris, cela a permis de ralentir la croissance d’un mélanome (Feng et al., 2021).

Ces résultats sont encourageants mais encore expérimentaux.

Interaction avec le système immunitaire

La glutamine ne profite pas seulement à la tumeur : elle est aussi essentielle aux lymphocytes T qui consomment cet acide aminé pour se multiplier et produire des cytokines. Quand les cellules tumorales accaparent la glutamine, elles peuvent limiter l’efficacité de la réponse immunitaire. Une revue publiée en 2023 souligne ce « bras de fer métabolique » entre cellules cancéreuses et immunitaires, qui pourrait influencer la réussite des immunothérapies (Wang et al., 2023).

Implication des protéines immunitaires

Les travaux de recherche montrent également que le métabolisme de la glutamine peut jouer sur l’expression de protéines de régulation immunitaire comme PD-L1 ou B7-H3, qui freinent l’action des défenses de l’organisme (Zhang et al., 2024).

Modifier la disponibilité de la glutamine pourrait donc influencer la capacité de la tumeur à se cacher du système immunitaire, mais ces données restent limitées à des modèles précliniques.

Études sur la glutamine et le cancer du côlon

Dans le cancer colorectal, les chercheurs observent que les tumeurs consomment davantage de glutamine que les tissus sains. Cette dépendance est accentuée en présence de mutations comme PIK3CA (Zhao et al., 2019).

En parallèle, plusieurs essais cliniques se sont intéressés à l’usage de la glutamine comme adjuvant thérapeutique. Une méta-analyse a rapporté que la supplémentation en glutamine pourrait réduire l’incidence et la durée des mucites provoquées par la chimiothérapie (Lu et al., 2024).

Une autre étude sur 70 patients atteints de cancer colorectal a montré que 18 g de glutamine par jour avant et après la chimiothérapie réduisaient la diarrhée et la perméabilité intestinale (De Oliveira et al., 2023).

Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence, car toutes les études ne sont pas concluantes.

Glutamine et syndrome irritable

La glutamine est également étudiée dans le syndrome de l’intestin irritable. Un essai randomisé publié dans la revue Gut en 2019 a testé 15 g/jour de glutamine chez des patients souffrant d’un SII post-infectieux : après plusieurs semaines, les chercheurs ont observé une amélioration des symptômes digestifs et une réduction de la perméabilité intestinale (Zhou et al., 2019).

Ces résultats ouvrent une piste intéressante pour l’usage digestif, mais ils ne permettent pas de recommander la glutamine de manière systématique, encore moins chez des patients atteints de cancer sans suivi médical.

Risques et effets secondaires de la supplémentation en glutamine

Effets indésirables potentiels

Toxicité pour le foie

La glutamine est généralement bien tolérée, mais des cas très isolés montrent que la prudence reste nécessaire. Un rapport clinique décrit par exemple une cytolyse hépatique sévère (> 2000 UI/L de transaminases) chez une sportive consommant un supplément de glutamine ; les marqueurs hépatiques sont revenus à la normale après l’arrêt du produit.

Bien que rare, ce type d’événement rappelle que le foie peut être sensible à un excès non encadré.

Impact sur la santé intestinale

La glutamine est souvent étudiée pour son rôle bénéfique sur la barrière intestinale. Mais dans certaines situations pathologiques, un apport massif et non surveillé pourrait perturber le bilan azoté. Chez des patients avec insuffisance hépatique ou rénale, la gestion de l’azote devient plus difficile, ce qui complique l’utilisation sécurisée de la glutamine.

Ici encore, le problème n’est pas la glutamine en elle-même, mais la vulnérabilité du terrain.

Production d’ammoniac et ses conséquences

La glutamine libère de l’ammoniac lorsqu’elle est métabolisée. Chez un adulte en bonne santé, cet ammoniac est transformé en urée par le foie et éliminé par les reins. Mais en cas de cirrhose avancée ou d’insuffisance hépatique, l’accumulation d’ammoniac peut favoriser une encéphalopathie hépatique, un trouble neurologique grave. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la supplémentation est déconseillée sans suivi médical dans ces situations.

Population à risque

Certaines catégories de personnes doivent être particulièrement prudentes :

  • les patients atteints de cirrhose ou d’insuffisance rénale, pour lesquels la gestion de l’azote et de l’ammoniac est déjà compromise ;
  • les personnes âgées et fragiles, notamment en cas de cachexie tumorale, où l’équilibre nutritionnel est précaire ;
  • les sportifs qui consomment de très fortes doses sans suivi médical, exposés à des risques digestifs ou métaboliques inutiles.

Consultation médicale et recommandations

La supplémentation en glutamine doit rester encadrée. Les experts considèrent qu’un apport inférieur à 0,3 g/kg/jour est généralement sûr chez l’adulte sain. Mais dès que l’on entre dans un contexte de cancer, de maladie chronique ou de prise prolongée, une surveillance clinique et biologique s’impose.

Alimentation et sources de glutamine

Aliments riches en glutamine

Produits d’origine animale

Les aliments les plus riches en glutamine sont ceux qui contiennent beaucoup de protéines : viandes (bœuf, poulet, porc), poissons, œufs et produits laitiers. Selon les bases nutritionnelles, 100 g de viande peuvent apporter plusieurs grammes de glutamine à travers leurs protéines.

Aliments d’origine végétale

Les légumineuses (lentilles, haricots, pois chiches) et le soja en contiennent également, tout comme certains légumes verts comme les épinards ou les choux. Ces apports sont plus modestes que ceux issus des sources animales, mais ils participent à l’équilibre global.

Compléments alimentaires vs aliments

Sur le marché, la glutamine est proposée en poudre, gélules ou en dipeptides (par exemple l’alanyl-glutamine utilisé en clinique). Ces formes permettent d’atteindre des doses plus élevées, mais elles contournent les régulations naturelles de l’alimentation. Les essais montrent que les dipeptides offrent une meilleure stabilité digestive et une biodisponibilité accrue dans certains contextes hospitaliers.

Absorption et biodisponibilité de la glutamine

Après ingestion, la glutamine est absorbée au niveau de l’intestin grêle puis métabolisée rapidement par les cellules intestinales et le foie. Une partie seulement atteint la circulation sanguine. Sous forme dipeptidique, l’absorption est plus efficace, ce qui explique son usage privilégié dans les protocoles cliniques.

Conseils pour une consommation équilibrée

Pour la majorité des personnes, une alimentation variée et riche en protéines couvre largement les besoins en glutamine. La supplémentation peut être utile dans des situations particulières (effort physique intense, chirurgie lourde, traitements anticancéreux), mais uniquement sous avis médical. L’essentiel est de privilégier la diversité alimentaire et d’éviter les doses élevées et prolongées sans encadrement.

Sources
  • Gao, P. et al. — C-MYC suppression of miR-23a/b enhances mitochondrial glutaminase expression and glutamine metabolism.
  • Altman, B. J., Stine, Z. E., & Dang, C. V. — From Krebs to clinic: glutamine metabolism to cancer therapy.
  • Xiang, Y. et al. — Targeted inhibition of tumor-specific glutaminase diminishes cell-autonomous tumorigenesis.
  • Feng, Y., Ronai, Z. A. et al. — Identification and characterization of IMD-0354 as a glutamine carrier protein inhibitor in melanoma.
  • Wang, Y. et al. — Glutamine metabolism shapes the tumor immune microenvironment.
  • Zhang, H., Li, X., & Zhao, J. — Glutamine metabolism regulates immune checkpoints in the tumor microenvironment.
  • Zhao, Y. et al. — PIK3CA mutations promote dependence on glutamine metabolism in colorectal cancer.
  • Lu, T.-L. et al. — Supplementation of L-glutamine enhanced mucosal immunity and improved hormonal status of combat-sport athletes.
  • De Oliveira, G. P. et al. — Oral glutamine supplementation reduces intestinal permeability and diarrhea in colorectal cancer patients receiving chemotherapy.
  • Zhou, Q. et al. — Randomised placebo-controlled trial of dietary glutamine supplements for postinfectious irritable bowel syndrome.
  • Fallah, M., Noori, N., & Hosseini, S. — Severe acute hepatitis induced by L-glutamine supplementation in a young female athlete.
  • Vaughan, R. A. et al. — L-glutamine supplementation and metabolic risk in compromised patients.
  • Albrecht, J., & Norenberg, M. D. — Glutamine: a Trojan horse in ammonia neurotoxicity.
  • Wischmeyer, P. E. et al. — Parenteral glutamine supplementation in critical illness: a systematic review.
  • Lacey, J. M., & Wilmore, D. W. — Is glutamine a conditionally essential amino acid?
  • Wernerman, J., Blixt, J., & Van Acker, B. A. — Enteral supplementation with alanyl-glutamine in clinical practice.
  • Déchelotte, P. et al. — Alanyl-glutamine dipeptide as a stable source of glutamine in clinical nutrition.

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